Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.

"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...

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5 sept. 2012

open communities

dessin A.S.


Souvenons-nous. Il y a deux mille ans, des hippies anarchistes arrivaient dans l’empire de Rome, voulant réduire le nombre de dieux à un, prétendant l’égalité, invoquant la multiplication des pains... Ils dirigeaient leurs pas vers les pauvres, les marginaux, les lépreux, les esclaves… Il y a quelque chose de cet ordre dans le voyage initiatique passionnant intitulé Sur les sentiers de l’utopie (édition Zones, 2011) d’Isabelle Fremeaux et de John Jordan, deux altermondialistes impliqués dans les camps climats. Le challenge est encore plus grand qu’en l’an zéro car il s’agit de se passer totalement d’une divinité et d’invoquer l’Anarchisme. Sur ce point s'ouvre une troisième piste pour nos villes vernaculaires : après l'habitat pré-industriel, les bidonvilles péri-industriels, arrive le do-it-yourself post-industriel... Très loin d'une balade en vélo dans Boboville ou du conseil en placement financier dans un écoquartier branché, il s’agit d’un carnet de route improbable, écrit et filmé dans une fourgonnette pendant un tour d’Europe reliant des lieux alternatifs sans religion ni gourou : les vieilles communautés hippies et les jeunes squats anarcho-punks, les premières fermes écolos autogérées et les derniers villages anars espagnols… Que sont-ils donc devenus ?

Ce livre-dvd est donc à lire impérativement pour le savoir. Nous y découvrons des expériences collectives qui ont parfois du recul et nous y voyons un style de vie construit comme l'exact-opposé du modèle capitaliste-consumériste, open communities vs. gated communities : ni dieu, ni maître, ni barrière, ni confort, ni sécurité, ni argent, ni conso, ni etc. On lâche du lest. Les auteur-e-s parviennent très bien à construire un fil conducteur dans leur étrange structure libertaire, montrant des méthodes pour décider et inventer une politique que nous découvrons "vernaculaire". Ils indiquent aussi certaines limites et finissent sur un appel vers un "Bauhaus pour le XXIe siècle". Merci pour ce souffle, les amis, c'est une excellente piste car il faut autant que possible mettre la lutte de côté et inventer-montrer la beauté, le bonheur, l'accomplissement... Multiplions les archipels ! L’architecture est peu abordée mais le texte insiste sur le D.I.Y. en tant qu'empirisme : on tente, on manque, on rate, on imite, on recommence, on se renseigne, on bricole, on s’accommode… Bien entendu, on n'y trouvera pas une ligne de conduite ou un récit d’architecture mais plutôt des aventures singulières qui tournent autour de hangars ruraux, dômes géodésiques, yourtes, baraques bricolées, cabanes forestières et maisons abandonnées. La construction s’arrête en général à des clous, des cordes et des empilements. La décoration se limite aux sculptures primitivistes, aux tags et aux affiches "style 68" sur fond de fockof, vivazapata et autres zobvolants... Tout un horizon culturel ! Mais n'en rions pas car ces rebelles sont bien moins ridicules que les victimes des gourous publicistes.


N'oublions pas non plus que cette "révolte" remonte principalement à la crise pétrolière - quand certains envisagent la finitude des ressources et imaginent qu’il faut renoncer à les utiliser ou à les partager… Fin de l’idéal du luxe-pour-tous, de l'abondance, et naissance de deux types communautaires, open & gated, une histoire qui ne se construit plus dans l’utopie mais s’improvise dans la crainte de la dystopie. Pour s’en souvenir, il ne faut pas manquer deux livres de Philippe Curval abordant ces deux post-modèles dichotomiques : Cette chère humanité (1977) décrivant une étrange dictature technologique du bien-être cachée derrière des murs, et Le dormeur s’éveillera-t’il ? (1979) montrant une société à la Mad Max qui baigne dans une révolution écologico-anarco-réactionnaire. Rare contre-utopie-écolo à lire également, pour mieux anticiper.

3 commentaires:

  1. Les utopies comme les contre-utopies me glacent un peu le sang, qu'elles soient gated ou open, elles coupent les racines parce qu'elles ne se sentent pas capables de les assumer. Comment assumer ses racines sans pour autant les mettre à la place des feuilles? Quel sens aurait la vie si aucune transmission n'était possible, si nous n'étions que des électrons libres sans racines avec des liens choisis et éphémères? Il n'y a certainement pas de sens, mais il y a des familles culturelles, et c'est elles que l'on transmet à nos enfants, faute de mieux...

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    1. Très juste, c’est le cœur de la question. La famille anarchiste a d’ailleurs ses propres traditions avec ses auteurs, son jargon, et même son style architectural ! Prouvant que nous ne sommes jamais sans attache. Mieux vaut chercher à conscientiser ses origines que les renier. Allons plus loin en disant que le communisme et une partie de l’anarchisme ne sont que les produits en miroir du capitalisme : d’où l’on peut conclure que l’anti-dystopie est l’expression perverse de l’utopie moderne. Mais les auteur-e-s semblent en avoir assez largement conscience…

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  2. Je suis bien d'accord avec Yannick Bres et je ne sais pas si le rapprochement avec le christianisme est très pertinent quand on connait les excès des extrémistes chrétiens dès le Ve siècle !
    Songe dans le magnifique site d'Aphrodisias cet été : sculptures en marbre de la divinité éponyme brisées par les chrétiens...

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