Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.

"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...

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8 oct. 2012

mariage mécanique

 

d'après wired


La prise de pouvoir de l’industrie sur les mentalités a un peu plus d’un demi-siècle. C’est une épopée qui a son histoire et ses historiens, ses complices - comme Siegfried Giedion ou Le Corbusier - mais aussi ses détracteurs comme Marshall McLuhan ou Lewis Mumford. Moins connus en France, les deux derniers furent rangés dans le camp des perdants ; victimes collatérales du Maccarthysme, leur critique de la mécanisation ne se réduit pourtant pas au marxisme ou au relativisme politico-culturel. Ils cherchaient surtout la place de l’humain ! Ainsi, Mumford s’inquiète pour les femmes que l’on condamne à vivre seules dans leur pavillon alors que les hommes passent leur temps libre à tondre des pelouses… Tout aussi compatissant, McLuhan plaint les riches qui poursuivent le mérite calviniste sans avoir le temps de penser et de se cultiver, subissant sans le moindre recul le tourbillon de la vitesse et de la consommation – relégués au même rang que les petites gens. Le mariage mécanique est aujourd’hui global. Nous voilà tous dans cette prison où seuls les fanatiques et les paranoïaques imaginent encore des gardiens et un directeur, des murs et un dehors.

Auteur de la Mariée mécanique, traduit et édité cette année seulement en français (paru le 14 septembre au éditions e®e), McLuhan comprend dès 1951 que la machine va finir par former un réseau total et que nos imaginaires se calqueront à la morphologie de ce réseau : dictature de l’instantanéité et de l’ubiquité dans une composition abstraite. Il décrit une œuvre moderne où le collage écrase par son universalité le sens de chaque fragment… L’art se réduit au montage car l’importance est dans le réseau plus que dans le "contenu" (individu que l’on jugera réel ou imaginaire, c’est sans importance).

Mais nous découvrons enfin que la disparition des individus dans une bouillie particulaire représente la mort du réseau, la fin des dinosaures ! Pour survivre, le réseau a aujourd'hui besoin d'individualités (pas des stars normalisées), de diversité (qui n’est pas seulement variété) et de formes (non uniquement abstraites). De l'intelligible, du reconnaissable. Il faut donc détourner, superposer, accumuler nos modèles, vivre dans le réseau global pour y redessiner ingénieusement un corps local. Songeons à un art contemporain où le paysage se reconstruit autour de la qualité vernaculaire des détails. Oublions l’héritage surréaliste qui consistait à coller absurdement un corps décapité, guerre-14/18-isé, fragmenté jusqu’au méconnaissable (comme les articles d’un journal), songeons plutôt à la réelle nouveauté d’internet : la capacité de recréer des liens dans une hypermnésie globale… Le retour du vernaculaire ne se fera pas en continuant de séparer des particules élémentaires identiques, en gluant des articles au hasard pour faire un journal  mais en reliant des objets partiellement compréhensibles, en partant d’un récit "local" pour que les éléments s’enchainent, s’entraînent. et forment les topos du réel : vaste, complexe, inaccessible, merveilleux.

=> sujet [mécanisation] / message précédent : machine humaniste

3 commentaires:

  1. Effectivement l'industrie s'est rendue maîtresse des esprits il y a 60 ans, au moment où l'agriculture a cessé son déroulement paysan, et ou elle est devenue partie intégrante du monde industriel. Les activités agricoles perdant leur spécificités locales, culturelles, voire symboliques, les constructions vernaculaires ont cessé. Notre manière de considérer la nourriture, non plus comme un bien-fait mais comme un aliment nécessaire à notre fonctionnement, nous a poussé à nous considérer nous-même comme des machines.

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  2. paru le 14 septembre au éditions è®e :
    http://editions-ere.net/projet431

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    1. Merci, j'avais oublié cette information ! Je vais ajouter les références et le lien dès que possible.

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