Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.

"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...

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17 oct. 2012

pantin normalisé

dessin A.S.

A la sagesse discrète de l’être libre qui choisit ses maîtres et ses modèles répond l’excentricité superficielle du pantin qui suit les fils du système et des normes. Mais comment et pourquoi les êtres humains sont-ils devenus des pantins ? Rappelons qu'après la Seconde Guerre mondiale la norme s’est généralisée dans le but d’augmenter la production industrielle. Au-delà d’un calibrage commun (l'historique standard), il s’agissait surtout de pallier aux manques d’effectifs dans l’industrie en remplaçant "l’ouvrier qualifié" par "l’ouvrier spécialisé" : l’artisan, que le client pouvait juger en regardant ses ouvrages, a été remplacé par une "main d’œuvre" formée à la va-vite, sans qualité, interchangeable. Constatant l’efficacité de ce modèle, la société de consommation en a déduit qu’il fallait considérer l’individu comme stupide, qu’il soit producteur ou acheteur. Il fallait donc le protéger en systématisant les normes. Début de notre contre-histoire.

Aujourd’hui, recouverts par d'innombrables normes, même les décideurs s'assimilent à des pantins décérébrés - architecte, médecin, juriste, enseignant, ingénieur, politicien, designer – car ils ne sont que des "agents" baladés pour fabriquer et acheter des produits normalisés d'après les canons contemporains, filoguidés vers le char d'assaut de l'innovation : l’architecte doit suivre la circulaire-truc et la norme ISO-machin pour que son bâtiment soit normalement solide, normalement isolé, tout en répondant normalement aux besoins de l’usager normal… Inutile de chercher du côté du style, d’une influence ou d’un talent pour identifier une construction contemporaine, inutile aussi de s’illusionner en croyant trouver des rinceaux, des coquilles ou des médaillons car nous ne sommes plus à la Renaissance ! Que non ! Pour "identifier" un bâtiment actuel, il faut observer les normes : "nous pouvons voir que cet édifice a été construit après 2007 car c’est un B.B.C. type E.R.P. doté d’accès P.M.R. ", voilà tout ce que pourra dire le guide touristique face au patrimoine des années 1980 à 2020, " car, dans ce temps-là, les modèles se réduisaient à des normes internationales imposées par la loi".

L’architecte-pantin se soumet car les normes revendiquent l’idée de condition universelle. Elles colonisent le monde en conjuguant les doctrines positivistes aux intérêts financiers pour réinventer les usages. Sous couvert de bien-être, elles imposent les a priori modernes d’isolement et de sécurité, elles combattent l’extérieur, la différence, les catastrophes, les maladresses, les fragilités... Mais la morale écologique perturbe depuis peu la certitude normative car elle se veut "durable" et "tolérante", il va donc falloir penser à s'adapter, tout en ralentissant la course. Bientôt, le paroxysme des normes sera derrière nous car le produit global-normal-éphémère-énergivore devra muter vers le local-spécifique-durable-économique. Aujourd’hui, les normalisateurs pensent s’en sortir en se cachant sous la flexibilité et la bonne conscience du green design mais le paradoxe va finir par tout emporter : l’homme intelligent va refaire surface, pantin goûtant avec bonheur la liberté de bouger sans fil, de choisir ses modèles, de vivre sa condition d'être de chair et de sang.

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