Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.

"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...

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22 nov. 2012

Rodin l'a dit

dessin Claude Hersant via wizzz.télérama


Qui l'a dit ? "Notre époque est celle des ingénieurs et des usiniers, mais non point celle des artistes. L’on recherche l’utilité dans la vie moderne : l’on s’efforce d’améliorer matériellement l’existence : la science invente tous les jours de nouveaux procédés pour alimenter, vêtir ou transporter les hommes : elle fabrique économiquement de mauvais produits pour donner au plus grand nombre des jouissances frelatées : il est vrai qu’elle apporte aussi des perfectionnements réels à la satisfaction de tous nos besoins. Mais l’esprit, mais la pensée, mais le rêve, il n’en est plus question. L’art est mort. […] Aujourd’hui l’humanité croit pouvoir se passer d’art. Elle ne veut plus méditer, contempler, rêver : elle veut jouir […] L’art, c’est de la contemplation. C’est le plaisir de l’esprit qui pénètre la nature et qui y devine l’esprit dont elle est elle-même animée. C’est la joie de l’intelligence qui voit clair dans l’univers et qui le recrée en l’illuminant de conscience. L’art, c’est la plus sublime mission de l’homme puisque c’est l’exercice de la pensée qui cherche à comprendre le monde et à le faire comprendre. L’art, c’est encore le goût. C’est, sur tous les objets que façonne un artiste, le reflet de son cœur. C’est le sourire de l’âme humaine sur la maison et sur le mobilier… C’est le charme de la pensée et du sentiment incorporé à tout ce qui sert aux hommes. Mais combien sont- ils ceux de nos contemporains qui éprouvent la nécessité de se loger ou de se meubler avec goût? Autrefois, dans la vieille France, l’art était partout. Les moindres bourgeois, les paysans même ne faisaient usage que d’objets aimables à voir. Leurs chaises, leurs tables, leurs marmites, leurs brocs étaient jolis. Aujourd’hui l’art est chassé de la vie quotidienne. Ce qui est utile, dit-on, n’a pas besoin d’être beau. Tout est laid, tous est fabriqué à la hâte et sans grâce par des machines stupides. Les artistes sont des ennemis. »
(Auguste Rodin, entretiens réunis par Paul Gsell, collection Idées / Arts, Gallimard.)


Ce texte, je l’ai lu et relu. Tout est dit et joliment dit. Bien sûr, il faut le situer dans son époque. Rodin né en 1840, mourra en 1917. Il parle de l’art – d’un certain art diront certains – un art qui intéressait peu de monde en cette fin de XIXe siècle, un art mis en cause et qui semble mort ou moribond aujourd’hui. Rodin dit "l’art est mort". C’est, a priori, difficile et exagéré de décréter une telle vérité dans l’absolu, mais si Rodin, qui n’est pas n’importe qui, le dit, cela devrait nous interpeller. Peut-être devrions-nous dire : un certain art, l’art traditionnel, (l’art véritable penseront certains), est en train de mourir, de crever. Il y a derrière ces mots une colère et une crainte justifiée pour l’avenir, qui n’annonce rien de bon. Il faut comprendre et admettre cette colère. Quant il parle des « usines qui fabriquent économiquement de mauvais produits pour donner au plus grand nombre des jouissances frelatées », je dirais, que si c’était en partie vrai à son époque, les choses ont évolué et se sont un peu améliorées. Le design existe et, si les automobiles actuelles n’ont pas le charme des premières automobiles, elles obéissent aux lois d’une esthétique qui est celle des produits usinés. En revanche, l’objet façonné artisanalement par des mains adroites, sensibles et créatrices, oui, cela disparait et ce qui survit ressemble bien souvent à du folklore. Si l’ébénisterie, la lithographie, la marqueterie, et beaucoup d’autres métiers manuels demandant des qualités artistiques, ont pratiquement disparu, d’autres englobant plus de techniques, d’autres techniques, d’autres compétences, comme le cinéma, la vidéo et le multimédia se développent. Ces nouveaux métiers sont le reflet d’une culture, ou plutôt d’une culture en mutation ; ils demandent des connaissances variées et multiples dans tous les domaines et exigent un travail d’équipe.

Face à cette situation, l’artiste peut et doit, je crois, résister, car ces arts nouveaux ne peuvent mépriser les arts anciens qui les ont fait naitre et qu’ils utilisent. Ce serait renier ses racines. Il n’y a pas lieu de critiquer ni de s’opposer à l’évolution technologique. Par contre, et cela me parait très important, l’utilisation bonne ou mauvaise de ce progrès technique doit être analysée et peut être contestée. Rodin nous met face à un problème d’importance. Dans une évolution, il y a ce que l’on gagne et il y a ce que l’on perd et il faut bien le mesurer.

                           

2 commentaires:

  1. Merci pour ce texte et cette analyse. Oui, Rodin indique une crise de l’art que l’on pourrait faire remonter plus loin encore dans la célèbre réaction de William Morris après l’Exposition universelle de Londres en 1851. Là où l’homme attendait le progrès par la machine, il voit naître l’horreur : horreur esthétique, horreur morale, horreur sociale, sans compter l’horreur totale qui surviendra presqu’un siècle plus tard.

    Il y a une Némésis qui se planque dans la machine, comme il y en a une autre dans le feu. Il nous faut apprendre à dompter cette dangereuse déesse comme nos lointains ancêtres ont appris à manipuler celle du feu. Cela prendra certainement des siècles. Effectivement la distinction art/design aide à mieux comprendre, comme œuvre/ouvrage… Le sujet est vaste et passionnant.

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  2. Comment monsieur Rodin peut ignorer superbement la riche floraison artistique de son temps ?
    La fin du dix-neuvième siècle et les début du vingtième ont été en effet marqués par l'impressionnisme, l'Art Nouveau, le mouvement 'Arts and crafts" en Angleterre et la fondation de nombreuses écoles des arts décoratifs.
    Les villes sont alors dans leur splendeur et les nouveaux matériaux comme la fonte, l'acier et le béton s'intègrent à l'architecture de pierre.
    Rodin n'est pas un rescapé, un, animal fossile. Il a été apprécié de son vivant. Et s'il a du talent, il le doit en partie à son milieu d'artistes, à ses clients cultivés et à cette époque de la première révolution industrielle et de l'instruction pour tous, qu'il se plait tant à dénigrer..


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