Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.

"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...

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7 sept. 2012

happy bungalow

dessin A.S.

Les contreforts des Pyrénées tombent abruptement dans la mer. Une crique couronnée de pins. L’eau est limpide, le ciel est bleu. Les baigneuses ont volontiers les seins nus. Leurs compagnons font gentiment la vaisselle dans les bassines en plastique référencées sur l’état des lieux de chaque bungalow. Un restaurant est agréablement aménagé en hémicycle autour d’une place, de quelques arbres et d’une estrade où j’ai dessiné hier soir Jordan et Henri venus de la lointaine Germanie nous jouer un air de jazz. Ils ont été suivis par un trisomique et sa famille qui ont poussé joyeusement leur petite romance. On entend parler polonais, espagnol, français, allemand… Les tentes utilisent des textiles innovants et des montants cintrés en fibres de carbone. Grosses voitures, caravanes impressionnantes, parasols made in Brazil, serviettes et maillots : l’économie est mondialisée. Les toilettes et douches sont propres. Pas d’incivilités à l’horizon, ni de chiens, ni de SDF. Les gérants du camping de Pola, près de Tossa de Mar, qui peut accueillir jusqu’à mille cinq cent personnes, veillent sur la tenue et la sécurité de leur instrument de travail. Un unijambiste sort de l’eau et rejoint, à cloche pied, sa fille de six ans. Un couple de vieux homosexuels se tient par la main.

On peut être comme on veut ici, à condition d’être sympa, ni trop riche, ni trop pauvre. Des gamins se faufilent en riant derrière des bouées de couleur. Le soir, les petites lucioles des tentes et bungalows illuminent de-ci, de-là, la sombre pinède sous le ciel étoilé. Bizarrement la promiscuité, qui est souvent mal vécue en temps ordinaire, est tolérée, voir recherchée. Des familles prennent leur repas au milieu d’une foule de gens et de voitures comme s’ils étaient sur une île déserte. On se passe d’eau courante, mais pas des instruments de la mobilité : véhicules, téléphones portables, bateaux gonflables, meubles pliables. C’est un remake du paradis des origines, pas romantique, ni vernaculaire, mais pratique et bien réel. Une façon d’investir un territoire tout en étant mobile, européen, et plutôt fraternel. Dans cette société sans classe (sinon la classe moyenne) on ne veut pas être plus chic que le voisin et la beauté, du coup, n’intéresse personne. La spiritualité non plus. Il n’y a ni chapelle ni lieu de prière. Le péché originel et la colère de Dieu sont de l’histoire ancienne.

2 commentaires:

  1. Dans le monde mobile, être "nomade" ou "soi-même" est un luxe - mais c’est un bon salaire, deux ou trois semaines au paradis pour cinquante en enfer. Après, on remonte à la maison, quand la pluie revient avec le froid. On retrouve le costume gris-requin parce qu’il faut bien gagner sa vie, payer les vacances, les courses, toutes les factures. Les enfants vont à l’école, le bronzage disparait. D’un coup, la voiture tombe en panne : elle a trop chauffé cet été. Il va falloir réemprunter, en plus du frigo et de l’immobilier… Ah ! Chienne de vie ! L’an prochain, on ira plus au sud, c’est cher mais on y est bien.

    En fait, on est obligé d’y être heureux sinon nous ferions tout ça pour rien : c’est pour cette raison que le fasciste tolère l’homo, que chacun regarde en compatissant la famille du petit triso. Ici, même le laid et le sordide deviennent beauté et bonheur. C’est notre salaire, notre retraite.

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  2. Très juste cette petite carte postale: un monde parfait mais intermittent, et d'une certaine façon parasite: gagné sur le dos de notre travail quotidien, et sur celui du travail saisonnier, ne produisant rien de beau ni de durable, ne produisant surtout rien: la vacance. Mais consommant toujours ... les fruits de l'industrie mondialisée.

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