Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.

"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...

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25 sept. 2012

progrès humaniste

dessin E.S.

Les Français sont fiers de leur gastronomie, de leurs innombrables fromages, de leurs vins délicieux. Ils sont également fiers de leurs cathédrales, palais et villes historiques, mais contrairement aux vins et aux fromages, ils n’ont pas l’idée de continuer à en produire de semblables et se contentent de « classer » ceux qui subsistent. De ce fait, les savoirs faire artistiques et techniques qui ont permis de constituer ce patrimoine bâti se perdent. C’est un peu comme si l’on écrivait des thèses sur le vin de Bordeaux ou le crottin de Chavignol, qu’on photographiait ces denrées sous toutes les coutures, qu’on les mettait au musée, mais que personne ne se souciait d’en produire ni d’en consommer de nouveau.

Quand on pénètre dans l’atelier de Serge Ivorra à Pézenas, et dans « le musée de la porte » qu’il a aménagé à proximité, tout change. Les savoirs faire des anciens menuisiers et charpentiers sont admirés et imités par les trois ouvriers hautement qualifiés et les six apprentis qui composent, avec Mario, le frère de Serge, le staff de la SARL. Une des vingt deux entreprises de menuiserie françaises agrées par les monuments historiques. Fines lèvres très rouges, cheveux grisonnants et bouclés, grands yeux intelligents, démarche souple d’un habitué des échafaudages, Serge fait visiter son atelier musée comme un maitre artisan du Moyen Age, les splendeurs de sa cathédrale. Fréquentant les décharges et chantiers de démolition, il récupère pour ses collections, des portes, des fenêtres, des pièces de serrurerie ancienne. Ils observe les essences de bois qui les constituent : noyer, peuplier, cyprès, robinier… et la façon dont ces menuiseries sont composées avec des assemblages à la fois simple et précis qui permettent de les démonter et de les remonter. Fils et petit fils de maçon, ayant suivi la formation des « compagnons » pendant sept ans, Serge est un homme de progrès. Il pense que nos menuiseries industrielles sont une régression et un danger. « En cas d’incendie, le bois résiste mieux que le plastique qui dégage des gaz très toxiques analogues au « gaz moutarde » utilisé pendant la première Guerre Mondiale. »

Ses apprentis, garçons et filles, l’entourent, l’écoutent, prennent goût avec lui au travail bien fait, à l’intelligence de la main tout en restaurant les menuiseries de l’hôtel Dieu de Marseille ou la porte du cimetière du Père Lachaise à Paris. L’ambiance est calme, détendue. Un des ouvriers, qui a réalisé son chef d’œuvre de compagnon à l’atelier, reprendra l’entreprise quand les frères Ivorra partiront en retraite. En sortant de là, je me suis dit que le progrès ne consiste pas à troquer le vin de Bourgogne pour du « coca zéro », ni la main de l’homme pour des machines à commandes numériques. Que le seul progrès qui vaille est celui de l’humanité en marche. Une humanité qui se doit de « construire » des individus solides, intelligents, inventifs et désireux de coopérer les uns avec les autres.

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3 commentaires:

  1. Le compagnonnage survit aujourd’hui, et c’est heureux. On découvre là qu’effectivement notre progrès (au sens commun) n’en est pas un et l’on constate par la même occasion qu’une simple porte nous ouvre sur le monde contemporain : règne de la laideur et de la mauvaise qualité, d’un danger plus grand en cas d’incendie, d’une durée éphémère, d’un gaspillage monstre, sans compter l’insatisfaction des ouvriers ou le lissage totalitaire des goûts, des couleurs, des matières… L’huisserie Alu-PVC offre cependant des avantages indéniables : on peut la produire pour trois sous à l’autre bout du monde et satisfaire la soif financière des industriels et des commerciaux.

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  2. Pourquoi trouvons nous les nouvelles menuiseries industrialisées laides? Parce que nous avons observé et dessiné les anciennes, et perçu le travail précis et élégant de l'artisan au travers des formes qui nous sont parvenues. Nous avons compris l'ingéniosité de ses ossatures extrêmement fines parfois qui permettent avec une ouverture maçonnée la plus petite possible un éclairement maximum. Peu de gens ont fait ce "travail" (non rémunéré, comme celui des femmes, des abeilles, etc...).
    Les menuiseries courantes, qu'elles soient en bois ou non, sont conçues pour supporter de lourds doubles vitrages, et de complexes lamelles de joints souples qui se compriment à la fermeture. Elles sont conçues pour permettre une étanchéité à l'air parfaite, qui sera percée par un système de ventilation dite "contrôlée". Cette laideur (menuiseries épaisses, dimension des vitres gigantesques et sans échelle, bouches d'aération en PVC blanc rapidement encrassées, bruit continu du moteur de la ventilation...)nous est imposée au bénéfice de notre "confort thermique". Le confort est une notion à interroger il me semble.
    Comme si le confort (ce qui nous permet de nous ré-conforter, de reprendre des forces) pouvait être séparé en différents compartiments dont le confort thermique serait le zénith de la béatitude.. Pour économiser de l'énergie fossile et pour améliorer notre "confort thermique", il serait nécessaire de mettre à bat tous les autres facteurs qui nous rassérènent : le sentiment d'être dans un bel endroit, une certaine fierté d'appartenir à la même espèce que ceux qui ont construit l'endroit, le silence, le rappel de souvenirs d'enfance , toutes ses petites choses qu'une architecture vernaculaire se fait un plaisir de réunir.
    Se chauffer au bois ne consomme pas plus de CO2 que de le laisser pourrir sur place. Ces sont les chauffages au fuel, au gaz ou encore pire électrique qu'il faut supprimer et non les menuisiers artisanaux.
    Pourquoi défendre les VMC, les joints silicones, les films frein vapeur et leurs indéfectibles scotches étanches, les doubles vitrages, sous le prétexte d'économiser l'énergie? Tout ce système qui peut se modéliser dans un logiciel, et se fabriquer industriellement concoure à l'augmentation de notre consommation énergétique, nous rend esclave d'un "confort industriel" qui court à sa perte. Il nous faut réduire la part industrielle de nos besoins, pour espérer réduire notre consommation.
    L'énergie musculaire, par définition ne consomme pas d'énergie fossile, et par dessus le marché elle perpétue une culture, et c'est cette culture qui nous rassérène.

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  3. C'est un très bel article. Je connais bien ce "musée" mais je n'ai jamais eu l'occasion de travailler avec ces artisans.
    Pour faire suite aux commentaires pertinents de Yannick, je m'évertue à convaincre mes clients qu'il est nécessaire qu'une porte et une fenêtre laissent passer l'air naturellement pour la salubrité d'une construction (on hésite moins à aérer sa chambre) et qu'un bon poêle à bois chauffe très bien une maison ! Plus un équipement technique est simple et plus il dure. J'ai déjà mis à la porte de mon bureau des clients qui insistaient pour avoir des menuiseries en PVC. Pas de fermettes sur mes chantiers, pas de placo pour faire des cloisons et je refuse de poser de l'aluminium. Le coût de mes maisons n'est pas excessif. Mieux vaut une petite maison solide qu'une grande maison fragile. Nous dessinons sur des planches en bois avec des crayons et de l'aquarelle. L'ordinateur me sert à faire de l'économie de chantier et de la correspondance. face aux aléas du métier, nous nous amusons bien malgré tout !

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