J’aime à penser que, depuis des dizaines de milliers d’années, depuis
l’apparition du langage, des arts et des pratiques religieuses, trois fées se
penchent sur le berceau de chaque petit homme qui vient au monde et lui offrent
chacune un présent.
La première lui donne la capacité d’associer les causes et leurs effets.
Grâce à ce don, il deviendra un homo sapiens malicieux capable de se servir
d’une lame de silex ou d’un ordinateur et d’imaginer des stratégies complexes et
efficaces.
La seconde lui insuffle un désir de transcendance au-delà de sa fragile condition.
Ce don le conduira, au fil des ans, à s’intéresser aux paroles du chaman, du
prêtre ou du philosophe et à se dévouer parfois à une cause commune et même à
s’y sacrifier.
La troisième enfin, le gratifie d’une sensibilité particulière à l’harmonie et à
la disharmonie et d’une attirance pour la danse, les parures, la musique, les
représentations figurées et pour tout ce qui suscitera en lui le sentiment de la
beauté. Ces trois fées ont longtemps vécu en bonne intelligence et les sociétés leurs ont
rendu également hommage.
Ce n’est plus le cas de nos jours.
Du fait des progrès de la technique, le sens de la causalité, dont nous a doté
la première de nos fées tutélaires, est largement privilégié. C’est lui que l’on
cherche à inculquer en priorité dans les écoles. Et c’est à lui que l’on se réfère
pour l’essentiel dans la plupart de nos actions quotidiennes. Les rites et cérémonies religieuses occupent de moins en moins de place dans
notre vie sociale. Et il est entendu que la croyance en une transcendance, quelle
qu’elle soit, doit rester cantonnée dans le domaine privé.
Quant à la beauté, si l’on excepte les instituts et magasines spécialisés qui en
font commerce, elle est également ramenée a peu de chose. Nos « machines
à habiter », pour reprendre le vocable de Le Corbusier, sont des objets
fonctionnels désignés à minima grâce à quelques vieilles recettes hérités de
l’abstraction géométrique. Nos paysages, surtout en périphérie des villes, sont
ravagés par de multiples réseaux techniques, assortis de zones urbanisées à la
va-vite. Et les artistes contemporains, sont si fâchés avec l’idée de beauté qu’ils
se croient obligés de lui mettre des guillemets disgracieux à chaque fois qu’ils
en parlent.
L’expansion de la pensée technique, au cours de ces dernières décennies, s’est
faite en se débarrassant de tout ce qui pouvait la ralentir.
Pour mettre au point un moteur d’avion, commercialiser un gadget ou rouler
sur une autoroute, pourquoi s’embarrasser de questions métaphysiques ou de
préoccupations esthétiques ? Mais est-ce que l’homme peut être pleinement homme dans un univers
mondialisé, peuplé d’objets et d’aménagements techniques sans beauté ni
espérance ?
Peut il rester fidèle à lui même s’il rejette une partie essentielle des aptitudes
dont il a été pourvu lors de sa venue au monde ?
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