Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.

"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...

.

.


28 juil. 2012

bar et science

A l’angle de la rue Bichat et de la rue Alibert, face à l’hôpital Saint- Louis, existe un bar fréquenté par le ‘‘petit peuple’’, des S.D.F. entre autre, peut-être quelques fripons (la racaille comme on dit aujourd’hui). Et puis aussi des gens du quartier qui viennent avec leurs enfants en bas-âge et leur chien. Les chiens font connaissance et manifestent leur joie lorsqu’ils rencontrent un copain ou une copine ; les femmes et les hommes aussi mais c’est plus rare et moins démonstratif. Un bar ordinaire pour gens simples. Or ce bar possède le plus beau comptoir que je connaisse. Dans le plus pur style des années 30. Mélange de matériaux, bois, cuivre, marbre rose et marbre gris, ornementation sous forme de médaillon. Le tout magnifiquement construit et composé, joignant l’utile à l’agréable.

Or en 1957 ce style ‘‘art déco’’ était honni par les profs et les adolescents de ‘‘bonne famille’’ de ma génération qui comme moi suivaient des cours de dessin et de décoration à ‘‘La Grande Chaumière’’. On jugeait que ce style fait de poncifs était ringard. . . Encore aujourd’hui, même si je ne suis pas ringard, cela me laisse pensif. Peut-être n’ai-je pas compris à l’époque que les modes se suivent et qu’il est de bon ton, pour marquer que l’on est dans le coup, de renier la mode précédente, laissant aux pratiquants adorateurs de la mode en cours l’illusion qu’ils sont les meilleurs, qu’ils ont fait un pas dans ce qu’ils croient être un progrès qui les élèvent, qu’ils appartiennent à une élite. Le bon goût, pensent-ils, ce sont eux ; il leur appartient. près avoir parlé de progrès dans les modes en art, parlons d’évolution : Evolution dans les Arts comme dans le monde du Vivant.




Par goût des rapports entre les différents compartiments du savoir, même si des spécialistes érudits pensent que ce que je vais dire n’a rien à voir avec ce que j’ai dit précédemment, j’aimerais vous citer un extrait de ce très bon et très sérieux livre de Jean- Claude Ameisen : ‘‘Darwin et le bouleversement du monde’’. Mon interrogation concerne l’évolution dans la vie comme dans l’art. Evitons les amalgames mais osons les comparaisons. Dans ce monde imparfait, les branches parallèles se coupent parfois quelque-part, surtout si l’on remonte aux origines. Mais que dit Ameisen : « Une adaptation trop étroite à l’une des composantes particulières d’un écosystème peut conduire à un cul-de-sac évolutif, et être facteur d’extinction. Au contraire, la persistance d’une capacité d’adaptation moins précise mais plus large aux différentes composante d’un écosystème peut être un facteur de robustesse permettant de survivre aux changements soudains de l’environnement ». Parallèlement, peut-être pourrions nous dire qu’une œuvre d’art, une sculpture, un bas-relief, un ornement, convient à un lieu et non à un autre. Ameisen dit encore ceci que je résume : Les micro-organismes se modifient beaucoup plus rapidement que les organismes formés de centaines de milliards de cellules qui sont l’aboutissement d’une évolution du vivant qui a duré deux milliards d’années.

A un bout de cette évolution, dirai-je, il y a l’homme et peut-être bientôt le surhomme, puis le non-homme, avec la disparition complète du Vivant sur la planète. Dans un cadre précis, le plus beau, le plus fort, le plus réussi peut devenir le plus laid, et le plus monstrueux dans un autre environnement et disparaître s’il n’a pas su s’adapter. L’évolution dans le confort et l’illusion du conformisme rend fragile. Un combat de tous les jours, de chaque instant, est obligatoire au maintien de la vie, de la survie. Ce combat a lieu en nous au niveau cellulaire, et en dehors, face à un environnement hostile ou tout simplement dangereux. . .

Bon ! Ne mélangeons pas et ne confondons pas Art et Science. Surtout pas. Evitons cette confusion. Mais si nous voulons mieux comprendre l’évolution de l’art, ce qui est loin d’être simple, comment ne pas y introduire un peu de science ? Pourquoi n’aborderions nous pas l’art sous l’angle de la réflexion, une réflexion qui humblement se soumet à la sensation et à l’émotion qui sont exprimés et sont à la base de toute œuvre d’art digne de ce nom. Mais surtout ne faisons pas de l’art une science. N’oublions pas non-plus que derrière toute œuvre d’art il y a des techniques et un métier qui s’append. Pour en revenir à mon ‘‘bar art-déco’’ sans vouloir être trop barbant, je me suis donné le droit, évitant tout amalgame et confusion, de comparer l’évolution de l’art à l’évolution de la vie. Comparable ne veut pas dire semblable (on l’oublie trop souvent.) Au sujet de l’évolution dans son livre sur Darwin p. 322, Ameisen pose ces questions : « comment naissent les formes ? Comment ont émergé, l’une après l’autre, depuis la nuit des temps et continue d’émerger aujourd’hui ‘‘l’infinité des formes, les plus belles et les plus merveilleuses.’’ Des animaux et des plantes ? » J’ajouterai : comment naissent les formes dans l’art ? N’y aurait-il pas des points communs entre la création du monde vivant et les créations des hommes, que l’on peut et que l’on doit comparer si nous voulons avancer sur le chemin de la connaissance du monde ? N’y a-t-il pas des points semblables entre la beauté de la nature et celle des objets créés par les hommes ? Entre le naturalisme et l’art, entre la science et les arts. L’artiste utilise des techniques, et le scientifique s’interroge sur ce qui le séduit. L’esthétisme est inhérent à la fonction quoi qu’en pense certains sectaires fervents partisans des barrières que l’on a mis entre les différents secteurs de la connaissance.

Il y a chez Ameisen le besoin de comprendre le monde actuel comme chez Darwin, en remontant aux origines. Comment en est on arrivé là ? C’est aussi la question que je me pose face à l’art contemporain. L’évolution comme l’explique Darwin et bien d’autres naturalistes avant et après lui, peut être parfois une régression. Pour Darwin, la nouveauté est indispensable à l’évolution et à la survie de l’espèce, mais pas n’importe quelle nouveauté. Toute nouveauté, toute évolution n’est pas bonne, surtout quand celle-ci n’obéit pas aux lois de la nature, mais aux lois des hommes. Concernant l’art, évoluer dans la tradition me paraît plus honnête, plus naturel et plus approprié à la survie qu’une révolution de la forme qui nie la tradition et la transmission. Nous sommes tous le fils de quelqu’un et l’on peut avoir de nombreux pères. La rapidité dans le tourbillon des nouveautés me paraît propre aux micro-organismes qui se reproduisent en milieu favorable à un rythme infernal. Un individu donne naissance à des milliards d’individus en quelques jours. On peut trouver d’ailleurs des ressemblances dans nos technologies concernant les microprocesseurs et la micro-informatique, qui évoluent en ce moment à une vitesse qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire des sciences. Par contre l’adaptation de l’homme et de l’humain à ces technologies est beaucoup moins rapide. Une éducation du peuple reste à faire. De même l’adaptation de l’homme à un environnement qu’il crée par son architecture n’est pas certaine, et bien souvent elle se fait mal.

On peut comprendre la révolte et la révolution –la révolution faisant partie de l’évolution – mais toute révolte n’est pas justifiée ni obligatoirement fondée même si, la situant dans son contexte, on peut la voir venir. La révolution dans une langue ou un langage me paraît inadaptée à ce que doit être une bonne évolution. La révolution de la forme et du langage que l’on constate dans l’art moderne et ‘‘content pour rien’’ me paraît absurde. Pourquoi ? On me répondra que les langages ont évolué comme les technologies, donc pourquoi dans les nouveaux langages ne trouverait-on pas cette rapidité dans l’évolution ? D’accord pour cette évolution dans les nouveaux langages, mais faut- il détruire les anciens langages et les renier ? N’allons nous plus nous exprimer qu’à travers l’informatique et le virtuel ce qui nous éloigne du monde physique ? L’écriture, la poésie, la sculpture, la peinture, le chant, les beaux-arts, vont-ils disparaître, ou simplement devenir de la distraction et du folklore ?

1 commentaire:

  1. Art et science - un mélange osé et dangereux. Osons. Pour l'évolution, l'idée de Darwin reste celle d'un anglais du XIXe... Il faut aujourd’hui oublier la trilogie évolution-sélection-progrès : nous pouvons regarder chaque « organisme » comme l'accumulation d'une multiplicité d'autres organismes (notre corps est un amalgame d'êtres unicellulaires, eux-mêmes collages de bactéries, de protéines, d'atomes). Tous se sont liés et se sont transformés dans un rapport d'interdépendance pour former cet organisme : une mitochondrie ou un globule rouge ne peuvent vivre seuls, et nous ne pouvons vivre sans eux, tout comme la grenouille ne peut vivre en dehors de son « biotope », la mare. Ne parlons plus d'évolution... voyons d’autres logiques : les liens d’interdépendance, les accumulations, les spécialisations. Notre trilogie serait : spécialisation-accumulation-diversité !

    Les limites entre « organismes » sont des vues de l'esprit, nous sommes tous des biotopes et, pour l’instant, la limite la plus nette est celle de la planète : nous devons regarder la particule, l'atome, la molécule, la cellule, l'organe, l'organisme, l'espèce, le biotope, la région, le pays, la planète. Il nous faut regarder l'ensemble dans sa diversité et dans son interdépendance !

    P.G.

    RépondreSupprimer