A l’angle de la rue Bichat et de la rue Alibert, face à l’hôpital Saint-
Louis, existe un bar fréquenté par le ‘‘petit peuple’’, des S.D.F.
entre autre, peut-être quelques fripons (la racaille comme on dit
aujourd’hui). Et puis aussi des gens du quartier qui viennent avec
leurs enfants en bas-âge et leur chien. Les chiens font connaissance
et manifestent leur joie lorsqu’ils rencontrent un copain ou une
copine ; les femmes et les hommes aussi mais c’est plus rare et moins
démonstratif. Un bar ordinaire pour gens simples.
Or ce bar possède le plus beau comptoir que je connaisse. Dans le plus
pur style des années 30. Mélange de matériaux, bois, cuivre, marbre
rose et marbre gris, ornementation sous forme de médaillon. Le tout
magnifiquement construit et composé, joignant l’utile à l’agréable.
Or en 1957 ce style ‘‘art déco’’ était honni par les profs et les adolescents de ‘‘bonne famille’’ de ma génération qui comme moi suivaient des cours de dessin et de décoration à ‘‘La Grande Chaumière’’. On jugeait que ce style fait de poncifs était ringard. . . Encore aujourd’hui, même si je ne suis pas ringard, cela me laisse pensif. Peut-être n’ai-je pas compris à l’époque que les modes se suivent et qu’il est de bon ton, pour marquer que l’on est dans le coup, de renier la mode précédente, laissant aux pratiquants adorateurs de la mode en cours l’illusion qu’ils sont les meilleurs, qu’ils ont fait un pas dans ce qu’ils croient être un progrès qui les élèvent, qu’ils appartiennent à une élite. Le bon goût, pensent-ils, ce sont eux ; il leur appartient. près avoir parlé de progrès dans les modes en art, parlons d’évolution : Evolution dans les Arts comme dans le monde du Vivant.
Par goût des rapports entre les différents compartiments du
savoir, même si des spécialistes érudits pensent que ce que je vais
dire n’a rien à voir avec ce que j’ai dit précédemment, j’aimerais
vous citer un extrait de ce très bon et très sérieux livre de Jean-
Claude Ameisen : ‘‘Darwin et le bouleversement du monde’’. Mon
interrogation concerne l’évolution dans la vie comme dans l’art.
Evitons les amalgames mais osons les comparaisons. Dans ce monde
imparfait, les branches parallèles se coupent parfois quelque-part,
surtout si l’on remonte aux origines. Mais que dit Ameisen : « Une
adaptation trop étroite à l’une des composantes particulières d’un
écosystème peut conduire à un cul-de-sac évolutif, et être facteur
d’extinction. Au contraire, la persistance d’une capacité d’adaptation
moins précise mais plus large aux différentes composante d’un
écosystème peut être un facteur de robustesse permettant de survivre
aux changements soudains de l’environnement ».
Parallèlement, peut-être pourrions nous dire qu’une œuvre d’art, une
sculpture, un bas-relief, un ornement, convient à un lieu et non à un
autre. Ameisen dit encore ceci que je résume : Les micro-organismes
se modifient beaucoup plus rapidement que les organismes formés
de centaines de milliards de cellules qui sont l’aboutissement d’une
évolution du vivant qui a duré deux milliards d’années.
A un bout
de cette évolution, dirai-je, il y a l’homme et peut-être bientôt le
surhomme, puis le non-homme, avec la disparition complète du
Vivant sur la planète. Dans un cadre précis, le plus beau, le plus
fort, le plus réussi peut devenir le plus laid, et le plus monstrueux
dans un autre environnement et disparaître s’il n’a pas su s’adapter.
L’évolution dans le confort et l’illusion du conformisme rend fragile.
Un combat de tous les jours, de chaque instant, est obligatoire au
maintien de la vie, de la survie. Ce combat a lieu en nous au niveau
cellulaire, et en dehors, face à un environnement hostile ou tout
simplement dangereux. . .
Bon ! Ne mélangeons pas et ne confondons pas Art et Science. Surtout
pas. Evitons cette confusion. Mais si nous voulons mieux comprendre
l’évolution de l’art, ce qui est loin d’être simple, comment ne pas y
introduire un peu de science ? Pourquoi n’aborderions nous pas l’art
sous l’angle de la réflexion, une réflexion qui humblement se soumet
à la sensation et à l’émotion qui sont exprimés et sont à la base de
toute œuvre d’art digne de ce nom. Mais surtout ne faisons pas de
l’art une science. N’oublions pas non-plus que derrière toute œuvre
d’art il y a des techniques et un métier qui s’append. Pour en revenir
à mon ‘‘bar art-déco’’ sans vouloir être trop barbant, je me suis donné
le droit, évitant tout amalgame et confusion, de comparer l’évolution
de l’art à l’évolution de la vie. Comparable ne veut pas dire semblable
(on l’oublie trop souvent.)
Au sujet de l’évolution dans son livre sur Darwin p. 322, Ameisen
pose ces questions : « comment naissent les formes ? Comment ont
émergé, l’une après l’autre, depuis la nuit des temps et continue
d’émerger aujourd’hui ‘‘l’infinité des formes, les plus belles et les
plus merveilleuses.’’ Des animaux et des plantes ? » J’ajouterai :
comment naissent les formes dans l’art ? N’y aurait-il pas des points
communs entre la création du monde vivant et les créations des
hommes, que l’on peut et que l’on doit comparer si nous voulons
avancer sur le chemin de la connaissance du monde ? N’y a-t-il pas
des points semblables entre la beauté de la nature et celle des objets
créés par les hommes ? Entre le naturalisme et l’art, entre la science et
les arts. L’artiste utilise des techniques, et le scientifique s’interroge
sur ce qui le séduit. L’esthétisme est inhérent à la fonction quoi qu’en
pense certains sectaires fervents partisans des barrières que l’on a mis
entre les différents secteurs de la connaissance.
Il y a chez Ameisen le besoin de comprendre le monde actuel comme
chez Darwin, en remontant aux origines. Comment en est on arrivé
là ? C’est aussi la question que je me pose face à l’art contemporain.
L’évolution comme l’explique Darwin et bien d’autres naturalistes
avant et après lui, peut être parfois une régression. Pour Darwin, la
nouveauté est indispensable à l’évolution et à la survie de l’espèce,
mais pas n’importe quelle nouveauté. Toute nouveauté, toute
évolution n’est pas bonne, surtout quand celle-ci n’obéit pas aux lois
de la nature, mais aux lois des hommes. Concernant l’art, évoluer
dans la tradition me paraît plus honnête, plus naturel et plus approprié
à la survie qu’une révolution de la forme qui nie la tradition et la
transmission. Nous sommes tous le fils de quelqu’un et l’on peut avoir
de nombreux pères. La rapidité dans le tourbillon des nouveautés me
paraît propre aux micro-organismes qui se reproduisent en milieu
favorable à un rythme infernal. Un individu donne naissance à des
milliards d’individus en quelques jours. On peut trouver d’ailleurs des
ressemblances dans nos technologies concernant les microprocesseurs
et la micro-informatique, qui évoluent en ce moment à une vitesse
qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire des sciences. Par contre
l’adaptation de l’homme et de l’humain à ces technologies est
beaucoup moins rapide. Une éducation du peuple reste à faire. De
même l’adaptation de l’homme à un environnement qu’il crée par son
architecture n’est pas certaine, et bien souvent elle se fait mal.
On peut
comprendre la révolte et la révolution –la révolution faisant partie de
l’évolution – mais toute révolte n’est pas justifiée ni obligatoirement
fondée même si, la situant dans son contexte, on peut la voir venir. La
révolution dans une langue ou un langage me paraît inadaptée à ce que
doit être une bonne évolution. La révolution de la forme et du langage
que l’on constate dans l’art moderne et ‘‘content pour rien’’ me paraît
absurde. Pourquoi ? On me répondra que les langages ont évolué
comme les technologies, donc pourquoi dans les nouveaux langages
ne trouverait-on pas cette rapidité dans l’évolution ?
D’accord pour cette évolution dans les nouveaux langages, mais faut-
il détruire les anciens langages et les renier ? N’allons nous plus nous
exprimer qu’à travers l’informatique et le virtuel ce qui nous éloigne
du monde physique ? L’écriture, la poésie, la sculpture, la peinture, le
chant, les beaux-arts, vont-ils disparaître, ou simplement devenir de la
distraction et du folklore ?
Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.
"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...
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Art et science - un mélange osé et dangereux. Osons. Pour l'évolution, l'idée de Darwin reste celle d'un anglais du XIXe... Il faut aujourd’hui oublier la trilogie évolution-sélection-progrès : nous pouvons regarder chaque « organisme » comme l'accumulation d'une multiplicité d'autres organismes (notre corps est un amalgame d'êtres unicellulaires, eux-mêmes collages de bactéries, de protéines, d'atomes). Tous se sont liés et se sont transformés dans un rapport d'interdépendance pour former cet organisme : une mitochondrie ou un globule rouge ne peuvent vivre seuls, et nous ne pouvons vivre sans eux, tout comme la grenouille ne peut vivre en dehors de son « biotope », la mare. Ne parlons plus d'évolution... voyons d’autres logiques : les liens d’interdépendance, les accumulations, les spécialisations. Notre trilogie serait : spécialisation-accumulation-diversité !
RépondreSupprimerLes limites entre « organismes » sont des vues de l'esprit, nous sommes tous des biotopes et, pour l’instant, la limite la plus nette est celle de la planète : nous devons regarder la particule, l'atome, la molécule, la cellule, l'organe, l'organisme, l'espèce, le biotope, la région, le pays, la planète. Il nous faut regarder l'ensemble dans sa diversité et dans son interdépendance !
P.G.