Vers un nouvel art de bâtir - nos villes vont cesser d’être le bras armé d’une vieille doctrine totalitaire : celle du robot-ogre, normalisé et globalisé, dont la beauté de brute ne s’exprime qu’en formatant ses habitants et en violant les paysages. Elles vont se différencier peu à peu comme autant de concrétions naturelles où s’accumuleront ingénieusement les ressources locales, les cultures, les désirs et savoir-faire.

"VV" - un blog pour imaginer cette mutation, partager nos expériences, discuter, se rencontrer, proposer...

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25 août 2012

vernaculaire (déf.)

dessin A.S.

Vernaculaire -. Attachement à un "pays", à un "site", proche de local, indigène, pittoresque, régionaliste, rustique, autochtone, traditionaliste, pauvre, domestique, commun, archaïque, grégaire… Dans English Vernacular Houses, en 1975, Eric Mercer va le définir ainsi : "Les bâtiments vernaculaires sont ceux qui appartiennent à un type communément répandu dans une zone donnée à une époque donnée". Mais cette définition paysagère et historique se trouve limitée au passé, et implicitement opposé au contemporain. Il faut une définition plus philosophique et prospective où s'expriment les notions de matières et de moyens de subsistances locaux (communaux*), de morales et de styles de vie indigènes (convivialité**). Proposons, par exemple : "lieu d'activité imaginé et élaboré à partir des communaux pour renforcer les liens conviviaux".

Un bâtiment vernaculaire s'exprimera donc dans des matières localement abondantes (matériau, énergie, main d’œuvre, culture, savoir-faire, "style", etc.) et optimise la qualité du site à travers une activité conviviale (allant de la construction à l'usage). C'est ainsi que le terme "vernaculaire" se situe hors des principes dictés par le Mouvement moderne et peut indirectement s'y opposer (en limitant l'automatisation, le transport, les logiques universelles). Il intègre implicitement certaines morales anciennes (beauté, bonheur) et contemporaines (écologie, diversité).


* Communaux (commons, en anglais) peut se lire comme "biens communs", dans le double sens de collectif (en-commun) et d’abondant (commun). Ce terme implique une coresponsabilité des usagers et nuance les notions de "ressources" et de "rareté" qui présupposent une concurrence...

** On peut opposer convivial à automatique. Pour Illich : « Conviviale est la société où l’homme contrôle l’outil », soit « une société où l’outil moderne est au service de la personne intégrée à la collectivité, et non au service d’un corps de spécialistes » (La convivialité, 1973).

Rappelons également la définition d'Ivan Illitch (oeuvres complètes, v. II, p. 152-153) :

Le terme vernaculaire vient d'une racine indo-germanique impliquant l'idée d'"enracinement", de "gîte". En latin, vernaculum designait tout ce qui était élevé, tissé, cultivé, confectionné à la maison, par opposition à ce que l'on se procurait par l'échange. L'enfant de votre esclave et celui de votre épouse, le petit de votre ânesse, étaient des êtres vernaculaires, au même titre que ce que fournissait vos champs et vos communs. Si ce fait avait retenu l'attention de Karl Polanyi, il aurait pu employer le terme au sens admis par les Romains de l'Antiquité : subsistances issues de structures de réciprocités inscrites dans chaque aspect de l'existence, distinctes des subsistances provenant de l'échange monétaire ou de la distribution verticale.

Le terme "vernaculaire" fut employé dans ce sens général de l'époque préclassique jusqu'aux formulations techniques du code théodosien. C'est Varron qui recourut à ce terme pour introduire la même distinction à propos de la langue. Pour lui, le parler vernaculaire est fait de mots et de tournures cultivés dans le domaine propre de celui qui s'exprime par opposition à ce qui est cultivé ailleurs et apporté. Et comme l'autorité de Varron était très largement reconnue, sa définition fut conservée. Varron, bibliothécaire de César et aussi d'Auguste, fut le premier Romain à tenter une étude critique exhaustive de la langue latine. Sa Lingua latina fut pendant des siècles l'ouvrage de référence fondamental.

2 commentaires:

  1. N'y a-t-il pas aussi dans le mot vernaculaire, la notion d'une adaptation aux moyens de subsistances particuliers (artisanaux ou agricoles)? C'est ce dernier point qui n'est plus en résonance avec le monde contemporain où les moyens de subsistance se sont uniformisés...
    En relocalisant les moyens de subsistance, les formes architecturales ont toutes les chances de se re-différencier, me semble-t-il.

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